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Les Bretons, artisans résolus de la Révolution
française.
Car
enfin, pour en revenir aux événements
de 1790, il faut faire litière de cette entreprise révisionniste qui tend
à faire accroire que, pendant
cette période révolutionnaire, les Bretons ne firent que subir une Révolution
française, qu'on leur aurait imposée,
en quelque sorte, par la force et de l'extérieur. —
Notons d'abord que les Bretons furent parmi les premiers à se lancer dans
le processus révolutionnaire, qui devait aboutir, à la chute de l'Ancien Régime,
à une monarchie constitutionnelle d'abord en 1791, et très rapidement, à la
proclamation de la République en 1792. Ce
processus, qui avait pris forme, notamment, dans les
affrontements sanglants de Rennes, le
28 janvier 1789, était la réplique de mouvements similaires dans d'autres
secteurs du pays, comme dans le Dauphiné où, dès juillet 1788, l'Assemblée
de Vizille avait réclamé la convocation des Etats Généraux. Ce qui
fait dire, à l'historien briochin Georges Minois, dans sa «Nouvelle histoire de la Bretagne»,
que ces affrontements entre classes antagonistes, entre aristocratie d'un côté,
patriotes du Tiers état de l'autre, sont
«la
meilleure preuve de l'assimilation de la Bretagne au Royaume», parce
que, souligne-t-il, les «
affrontements qui sont les mêmes que partout ailleurs». Les Bretons se lancèrent donc dans la Révolution,
au mépris
et souvent en combattant les privilèges de la province, privilèges baptisés
«libertés» ou «franchises» qui servaient essentiellement de couverture au régime
spécifique que connaissaient les paysans et les non-nobles dans notre province. Arthur
Young, voyageur et «politologue» anglais a noté, lors de son voyage en France
en 1788, que :
«Nulle
part, la distinction entre noblesse et roturiers n'est plus tranchée, plus
offensante, plus abominable qu'en Bretagne». — Les premiers, les Bretons furent aussi les
plus résolus
parmi
les députés aux Etats Généraux. Ils créèrent
le Club breton à Versailles, qui prit le nom de Club des Jacobins lorsque les
femmes de Paris, le 5 octobre 1789 allèrent chercher, comme on l'a plaisamment
retenu, le «Boulanger, la Boulangère et le petit Mitron» pour ramener
Roi et Assemblée à Paris. Les
premiers des Jacobins furent le Breton Le Chapelier, co-rédacteur du Serment du
jeu de Paume, le Breton Lanjuinais rédacteur de la Constitution civile du Clergé
qui notifiait entre autres la confiscation-nationalisation des biens de l'Église.
C'est
le Breton de Landivisiau, Le Guen de Kerangall, qui eut une intervention déterminante
dans l'abolition des privilèges particuliers et territoriaux (c'est-à-dire des
provinces), lors de la séance de la nuit du 4 août 1789, qui était, elle-même,
présidée par le Breton Le Chapelier ! Ils méritèrent
donc, nos députés bretons, le surnom de «Grenadiers
des Etats Généraux» que leur décerna le journal «Le Héraut de la Nation.», et dont le titre est en soi tout un
programme. Ou
encore, celui non moins glorieux d' «aînés
de la Révolution», que reprend à son compte
l'historien Michelet. Les privilèges de la province de Bretagne.
Il a
été dit que ces privilèges, appelés encore «franchises», (le mot renvoie
aux zones
franches d'aujourd'hui) servaient
à maintenir un régime féodal, que les cahiers de doléances dénonçaient,
comme particulièrement révoltant. En
effet ces privilèges, constitutifs de ce qu'on appelle la «Constitution bretonne», hérités
de l'Édit d'alliance de 1532 entre le Duché de Bretagne et le Royaume de
France, disposaient que la province, comme certaines autres, conserve une
Assemblée des Etats avec des pouvoirs en matière fiscale, ainsi qu'un
Parlement à la fois cour de justice et dotée de pouvoirs administratifs. C'est
pour cette raison, que Noblesse et Clergé
bretons, refusèrent d'envoyer des députés aux Etats Généraux de
Versailles, refusant par avance toute atteinte à la «Constitution bretonne.» En
effet, Parlement et Etats de Bretagne, étaient totalement dominés par la
Noblesse. Ainsi, pour nous en tenir à ce seul exemple, les Etats provinciaux de
Bretagne comptaient 665 représentants de la Noblesse et 30 du Haut Clergé, contre
seulement 50 représentants du Tiers état, qui représentait pourtant, à
lui seul, plus de 95% de la population, pour reprendre les appréciations de
l'abbé Sieyès, qui fut d'ailleurs un temps en poste à Tréguier. La
publication de tous les cahiers de doléances de la Bretagne a permis d'établir,
de manière irréfutable que le nombre de ceux qui réclamaient le maintien des
franchises de la province est une minorité : moins de 15 %. Qui pourrait s'en
étonner ? Ce qui
a permis au Breton Le Chapelier, ne disposant certes pas des données
statistiques d'aujourd'hui, mais cependant d'une perception adéquate de la réalité, d'annihiler à jamais — du moins aurait-on pu le croire — toute
tentative de restaurer les franchises bretonnes supprimées le 4 août 1789 : «Où donc est la nation bretonne ? lance-t-il aux aristocrates.
Dans
mille cinq cent
gentilshommes
et quelques ecclésiastiques, ou dans deux
millions d'hommes ? (...) Ce sont des
magistrats nobles qui défendent des nobles
pour opprimer le peuple. Voilà ce
qu'ils appellent nos franchises et leurs devoirs». Bref,
contre les privilèges d'un autre âge, Le Chapelier dressait les principes élémentaires
de la démocratie. C'est donc cet arrière-plan qu'il faut avoir
à l'esprit, pour comprendre la Fédération de Pontivy. Un puissant mouvement fédératif dans
toute la France.
D'abord
il faut savoir que les manifestations fédératives, les fédérations,
ont déjà vu le jour ici et là. Le 21 juillet 1788, l'Assemblée de Vizille
en Dauphiné (autre province spécifique,
analogue pour une large part à la Bretagne) se prononce pour l'abandon des «privilèges»
provinciaux et pour un «pacte d'union
nationale». L'idée
de Nation avait cours dans les milieux éclairés, depuis, notamment, les écrits des philosophes des Lumières. Ajoutons
par ailleurs que les particularismes des provinces, les règlements, les
douanes, les péages intérieurs, les poids et mesures différents, le
chevauchement inextricable des circonscriptions fiscales, judiciaires,
militaires, les corporations de métiers, héritées de la féodalité,
constituaient autant de freins à l'activité manufacturière et marchande et
que la constitution d'un marché, sans toutes ces entraves, étendu à tout le
territoire, était une nécessité qui cadrait aussi avec l'aspiration à
l'union nationale. Pour
nous en tenir à la Bretagne, les émeutes qui opposent la Noblesse et les
patriotes bretons à Rennes le 28 janvier 1789, voient se constituer un
mouvement de solidarité de plusieurs villes de Bretagne, et même hors de
Bretagne, comme Angers et même Poitiers. Dans
la région du Cap Sizun, dans le Trégor, des délégations de paroisses et de
villes prennent l'habitude de se réunir
et se concerter pour défendre les premières conquêtes de la Révolution, tout
comme les municipalités des villes se dotent de gardes nationales. Le 13
septembre 1789 se tient à Montélimar une réunion de volontaires du
Dauphiné, du Vivarais, de la Provence et du Languedoc, réunion que relèvera
d'ailleurs la Fédération de Pontivy de janvier 1790 dans une adresse qui
saluera leur démarche en vue d'accélérer, comme souligné, «le grand oeuvre de l'unité nationale». Le 29
novembre 1789 une fédération se constitua aussi à Valence ; en février 1790
une autre à Dôle, une autre à Lyon le 30 mai, et en juin à Lille et à
Strasbourg. Il s'agissait ainsi de former , ainsi qu'il a été écrit : «
comme un chaîne de communes libres et révolutionnaires de la même province,
de la même région.(....).» Venons-en à la Fédération de Pontivy. En
fait, Pontivy va être le siège de deux fédérations. La première Fédération du 15 janvier
1790 , dite «Fédération bretonne-angevine des jeunes volontaires».
Comme
elle est constituée de jeunes, délégués le plus souvent par les gardes
nationales. Elle est, pour cette raison, encore dite «Fédération
militaire». On
sait que le serment est prêté sur «l'autel
de la Patrie, en présence du Dieu des armées» qui, notons-le, renvoie
à la mythologie antique, à cette république romaine dont les révolutionnaires
s'inspirèrent souvent. C'est
la prestation du serment qui est figurée sur le bas relief en bronze. On y a
représenté le jeune Morlaisien Moreau, qui était déjà à la tête des étudiants
en droit de Rennes en janvier 89. On sait qu'il servira dans les armées de la Révolution
comme général. Voici
l'essentiel de ce serment des Jeunes volontaires :
«Nous,
jeunes citoyens français, habitant les vastes pays de la Bretagne et de
l'Anjou, extraordinairement réunis par nos représentants à Pontivy pour y
resserrer les liens de l'amitié fraternelle que nous nous sommes mutuellement
vouée, avons formé et exécuté au même instant le projet d'une confédération
sacrée, qui sera tout à la fois l'expression des sentiments qui nous animent
et des motifs qui nous rapprochent malgré les distances. (...) Nous jurons donc,
par l'honneur, sur l'autel de la Patrie, en présence du Dieu des armées, amour
au Père des Français ; nous jurons de rester à jamais unis par les liens de
la plus étroite fraternité ; nous jurons de combattre les ennemis de la Révolution
; de maintenir les Droits de l'Homme et du Citoyen, de soutenir la nouvelle
Constitution du Royaume et de prendre, au premier signal de danger, pour cri de
ralliement de nos phalanges armées :
Vivre
libres ou mourir !». La seconde
Fédération, dite «Fédération
bretonne-angevine des municipalités»
est du
15 février 1790. ( Elle est parfois dite «Fédération
civile». Elle
rassemble, un mois après la Fédération des jeunes volontaires, 168 députés
représentant 128 municipalités, placés, significativement, sous la présidence
du Nantais Lefebvre de la Chauvinière et la vice-présidence de Delaunay aîné
d'Angers. Le
fait que des Nantais et des Angevins soient ici présents aujourd'hui doit être
compris comme une fidélité aux principes qui présidèrent aux décisions de
la Fédération de 1790. Cette
assemblée prolonge celle de janvier, reprend les mêmes thèmes de la défense
des Droits de l'Homme et du Citoyen, mais plus que le serment des jeunes
volontaires, le Pacte d'Union qui est adopté, insiste davantage sur le caractère national de l'événement. Les
députés de ces municipalités bretonnes et angevines, adoptent le 21 février
1790 le «Pacte d'union» ainsi gravé sur le monument :
«Nous,
Français, citoyens de la Bretagne et de l'Anjou, assemblés en congrès
patriotique à Pontivy, arrêtons d'être unis par les liens indissolubles d'une
sainte fraternité, de défendre jusqu'à notre dernier soupir la Constitution
de l'Etat et les Décrets de l'Assemblée Nationale. Nous déclarons
solennellement que n'étant ni Bretons ni Angevins, mais Français et Citoyens
du même empire, nous renonçons à tous nos privilèges locaux et particuliers. Nous déclarons
qu'heureux et fiers d'être libres, nous ne souffrirons jamais que l'on attente
à nos Droits d'Hommes et de Citoyens, et que nous opposerons aux ennemis de la
Chose publique, toute l'énergie qu'inspirent le sentiment d'une longue
oppression et la confiance d'une grande force.» Ils
accèdent en quelque sorte à l'universalité du statut de Citoyen, en corrélation
avec la Déclaration des Droits de l'Homme qui est du 26 août 1789, débarrassé
de tout communautarisme géographique, régionaliste, linguistique, religieux ou
autre. Et
pour confirmer cette avancée remarquable de la conscience collective de ces délégués,
le Pacte d'union martèle donc, pour
qui en douterait encore aujourd'hui, à plus de deux cents ans de distance :
«...N'étant
ni Bretons ni Angevins, mais Français et Citoyens d'un même empire ( d'un
même pays )......nous
renonçons à tous nos privilèges locaux et particuliers». Quel démenti,
à tous ceux qui prétendent qu'il n'en fut pas ainsi ! Pontivy à l'unisson.
Dire
que les contemporains de ces délégués bretons et angevins, réunis dans cette
ville du centre Bretagne, furent à l'unisson de ce mouvement, est tout à fait
conforme à la vérité.. On en
trouve le témoignage, tant dans le salut de l'Abbé Darlot :
«Agréez
notre adhésion entière et sans borne à vos décisions dictées par la sagesse
et l'intérêt commun...» que
dans le discours du représentant de la Municipalité pontivienne, tous deux
partiellement reproduits dans la pierre du monument. Déjà,
accueillant les jeunes volontaires le 15 Janvier, Bourdonnaye , au nom de la
Municipalité, — ce présent square porte en souvenir son nom — esquissait
un prolongement à l'action en cours :
«...le
nouvel ordre des choses n'exigerait-il pas qu'au lieu de vous borner, dans les
circonstances, à renouveler le pacte d'union, ( ... )vous l'étudiiez et le
rendiez commun à toutes les villes du royaume, notamment à la capitale, à qui
tout bon Français a de si grandes obligations». Cette
aspiration, ainsi exprimée, d'un
pacte national, d'une fédération nationale, avec et à l'initiative de la
capitale, dans laquelle Bourdonnaye place une confiance légitimée par les
faits les plus récents, balaie comme on le voit, cette fausse idée selon
laquelle la province n'était pas en phase avec les événements parisiens. Et
Bourdonnaye de poursuivre :
«L'abolition
de toute distinction d'ordres et l'abandon de tous privilèges tant de provinces
que de particuliers, ne présentent qu'un seul et même intérêt à toutes les
différentes parties de l'empire français. Continuez donc , messieurs, à y
travailler de concert et de toutes vos forces et ne négligez rien de tout ce
qui est propre à accélérer ce grand oeuvre». A
dessein de garder témoignage, c'est donc fort opportunément, que les Républicains
de Pontivy, ont fait graver sur la pierre du monument, ces paroles de leur maire
de 1790 :
«Les
races futures (comprendre : les générations) sauront que vous êtes accourus de tous les coins de la Bretagne et de
l'Anjou, pour rompre par une glorieuse coalition le dernier anneau de la chaîne
pesante qu'on masquait sous le nom trompeur de privilèges». Pouvait-on
mieux dire ? De la Fédération de Pontivy à la Fédération
nationale.
Jaurès
a analysé le mouvement fédératif en gestation sur l'ensemble du pays :
«Comment
tous les tourbillons régionaux, se touchant en quelque sorte par leur bord, ne
se seraient-ils pas fondus et élargis en un vaste tourbillon national ?» Les Fédérés
de Pontivy envoyèrent en effet, et à cet effet, une délégation à l'Assemblée
nationale qui fut accueillie avec de chaleureux vivats. Et
Bailly, le maire de Paris, celui qui avait déjà lu le Serment du jeu de Paume
immortalisé par David, aux côtés de Le Chapelier, on s'en souvient, put déclarer
sous les applaudissement de ses collègues, dans cette Assemblée Nationale
devenue Assemblée Constituante :
«Nous
ne sommes plus ni Bretons ni Angevins, ont dit nos frères de la Bretagne et de
l'Anjou ; comme eux nous disons : nous ne sommes plus Parisiens, nous sommes
Français. Vous avez juré à Pontivy, d'être unis par les liens indissolubles
d'une sainte fraternité (...) Faisons, il est temps, faisons de toutes ces fédérations particulières une confédération
générale. (...) C'est le 14 juillet
que nous avons conquis la liberté ; ce sera le 14 juillet que nous jurerons de
la conserver...» C'est
ainsi que fut décidée, en grande partie comme on l'a vu, pour faire suite à
l'esprit qui avait présidé aux deux fédérations de Pontivy, la fête de la Fédération
du 14 juillet 1790, qui scella, définitivement, l'unité de la Nation qui devint elle-même, quelque temps après, le fondement de
l'indivisibilité de la République. C'est
en effet sous les clameurs de «Vive la Nation» que les jeunes volontaires
nationaux mirent en déroute, à Valmy en Champagne, les armées de l'Europe
monarcho-cléricale, coalisée contre la propagation de la Révolution aux
peuples asservis du continent, et que ce même jour, le 20 septembre 1792, la République,
qui en est l'expression achevée, fut instituée. |
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